Éditorial

Nous sommes tous de la «chienlit» !

07 avril 2025

Kobénan Adjoumani, ministre de son état et porte-parole du Rhdp, a déclaré : «nous n’allons pas laisser la chienlit s’installer dans notre pays », en parlant des enseignants grévistes qui réclament une «prime d’incitation».

Ce que réclament ces enseignants est très loin de ce qu’il serait nécessaire pour faire face à la cherté de la vie et aux salaires qui ne suivent pas les augmentations de prix. Mais le simple fait qu’ils se mobilisent pour revendiquer quelque chose a suffi pour déclencher un flot d’insultes de ce ministre. Il est évident que son gouvernement  a peur que l’envie de se battre pour l’amélioration de nos conditions d’existence fasse tache d’huile sur d’autres salariés du public et du privé. En effet, lorsque les travailleurs entreront massivement en lutte, ils ne se contenteront pas de revendiquer des miettes, ils seront alors plus forts et seront capables d’imposer plus de choses que les enseignants qui se battent seuls. On verra alors si ce ministre grassement payé tiendra le même langage !

Aujourd’hui, tous les travailleurs subissent de plein fouet le coût de la vie qui ne cesse de grimper alors que les salaires déjà trop bas restent bloqués. Nos conditions de travail se dégradent, le travail devient de plus en plus précaire et le nombre de chômeurs ne cesse d’augmenter. Partout le patronat est à l’offensive et écrase littéralement la classe ouvrière comme de la chair à exploiter qui n’a le droit que de fermer sa bouche.

Ainsi, dans l’entreprise Eviosys-Siem à Marcory, un travailleur journalier qui a plus de dix ans d’ancienneté est payé à 5000 Fr la journée en tant que responsable du magasin de stockage. Depuis dix ans il n’a jamais bénéficié d’un seul jour de congé payé et c’est lui que le patron accuse aujourd’hui de voleur ! Elle est là la « justice » des riches !

Dans cette même usine, il y a une vingtaine de jours, les travailleurs de la sous-traitance dont certains ont plus de vingt ans d’ancienneté, ont tous été renvoyés du jour au lendemain, sans préavis. Le bruit court que la direction compte leur proposer individuellement un contrat de six mois. Avec autant d’années d’ancienneté, elle ose présenter cette proposition comme une faveur ? Comment qualifier cela ?

Chez Nasco, dans la zone industrielle de Yopougon, les travailleurs sont payés à 3500 Fr la journée pour charger des camions de frigos. Ils se cassent le dos à longueur de journée pour une misère. Ce n’est pas de l’esclavage ça ?

Chez Gandour, dans la même zone industrielle de Yopougon, la direction vient d’établir une nouvelle règle : un travailleur n’a dorénavant le droit qu’à deux contrats de 11 mois, après quoi il peut aller se faire exploiter ailleurs ! Dans cette usine, des travailleurs manipulent des produits chimiques nocifs sans même être informés de la nature du produit, ni de sa dangerosité.

Chez Nutri, toujours dans la zone industrielle de Yopougon, les travailleurs sont réduits à implorer du travail y compris le dimanche, en espérant se faire payer en espèce et sur le champ.

Chez  Filtisac, sur la route d’Abobo, des travailleurs ont été exploités durant des dizaines d’années. Certains sont presque arrivés à l’âge du départ à la retraite. Après tant d’années de travail, on les oblige maintenant à demander la permission d’aller aux toilettes ! Même aux prisonniers, on ne ferait pas ça ! De leur côté, les couturières sont contraintes à effectuer un rendement toujours plus élevé. Celles qui n’arrivent plus à suivre sont poussées vers la porte de sortie. C’est de cette façon que la direction renouvelle ses effectifs pour avoir du sang neuf ! Des caméras en nombre ont été installées dans les zones de production ; les images sont retransmises en direct sur les téléphones portables des directeurs qui peuvent ainsi suivre la production y compris de chez eux, depuis leur lit !

Dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, la situation des travailleurs n’est pas meilleure. Ainsi, par exemple, à Cico, un chantier au PK 24, le patron a fermé le chantier parce que les travailleurs ont osé réclamer une partie de leur dû.

Chez Bori-Group, à Marcory, une ouvrière du service de nettoyage travaillait 6 jours sur 7. Mais pour avoir manqué un jour de travail pour cause de maladie et après avoir prévenu ses chefs, on lui a coupé son salaire. Lorsqu’elle a osé demander le paiement de sa journée de maladie, elle a été renvoyée comme une malpropre. Cela faisait deux ans que le patron lui volait un jour par semaine et il a fallu qu’elle prenne un jour de maladie pour être traitée de la sorte.

À Acc-Abata, des travailleurs sont payés à 3300 Fr la journée. Vu leur mécontentement, le patron a ajouté 50 Fr sur le salaire horaire, c’est une provocation !

Ces quelques exemples suffisent pour dire que la situation actuelle des travailleurs à Abidjan est catastrophique. À ces attaques patronales au sein des entreprises, il faut ajouter les autres attaques subies par les familles ouvrières dans leur lieu d’habitation : destruction de leurs quartiers, chasse aux petits commerçants qui essaient de survivre en vendant de petites choses sur le bord du trottoir, chasse aux marchands ambulants, etc.

Alors oui, tôt ou tard il y aura une petite étincelle qui mettra le feu aux poudres et la colère longtemps étouffée finira par exploser à la figure des capitalistes mais aussi à celle du gouvernement qui assure le maintien de cet ordre profondément injuste et révoltant. Ceux que le gouvernement traite aujourd’hui de « chienlit » lui montreront qui sont les vraies pourritures et les vrais responsables de leurs misères.