Éditorial

Un vent de révolte alimenté par la misère, le chômage et la vie chère

29 juin 2023

SÉNÉGAL

Les émeutes qui ont éclaté au Sénégal à la suite de la condamnation de l’opposant Ousmane Sonko étaient plus que prévisibles. C’est la répétition de celles qui ont secoué le pouvoir de Macky Sall deux années plus tôt, en mars 2021, et pour la même raison (le procès pour viol de ce même opposant). Durant cinq jours, la capitale et d’autres grandes villes ont été alors le théâtre d’affrontements violents entre manifestants et force de l’ordre. 14 manifestants (dont 3 mineurs) ont perdu la vie.

Le procès de mars 2021 a ensuite été reporté pour une date ultérieure mais entre-temps, le gouvernement n’a cessé de harceler cet opposant, tantôt pour « diffamation », tantôt pour « désobéissance ». L’accès à sa résidence a été régulièrement bloquée par les forces de l’ordre, sans aucune justification légale, comme si le gouvernement cherchait à provoquer ses partisans pour pouvoir ensuite les embarquer dans les locaux de la police, les tabasser puis les enfermer pour des motifs inventés.

Depuis février 2023, plusieurs affrontements ont opposé les sympathisants de Sonko aux forces de l’ordre, à Mbacké (février) Dakar (février/mars) Ziguinchor (mai) Kafrine (mai), etc.

Sonko a de nouveau été arrêté à Kafrine le 28 mai dernier et conduit de force à Dakar alors qu’il s’y rendait pour se présenter devant le juge à l’occasion de son 2ème procès. Dès que ces partisans ont appris la nouvelle de son arrestation, des manifestations ont de nouveau éclaté dans plusieurs villes.

Déjà, plusieurs jours avant l’ouverture du 2ème procès à Dakar, les affrontements avaient déjà fait trois morts et de nombreux blessés, sans compter de nombreuses arrestations abusives. C’est dire qu’il fallait s’attendre à l’embrasement qui a suivi l’annonce du verdict, le 1er juin 2023.

La première surprise a été que le juge n’a pas validé l’accusation de viol à la grande déception du procureur qui défendait la thèse du gouvernement. Néanmoins, Sonko a écopé de deux ans de prison ferme pour le délit de « corruption de la jeunesse ». Ce qui lui interdit automatiquement de se présenter à l’élection présidentielle de 2024. C’était l’objectif principal de Macky Sall car même s’il n’a pas confirmé sa décision de faire un 3ème mandat, tout se passe comme si depuis longtemps il s’y prépare. Il a fait le nettoyage autour de lui en faisant coffrer certains de ses concurrents susceptibles de lui barrer la route ou en achetant d’autres par une offre de poste de sinécure.

Ousmane Sonko, actuel maire de Ziguinchor (capitale régionale de la Casamance) est le dernier des principaux opposants que le président sénégalais n’a pas réussi à écarter jusqu’ici. Le harcèlement judiciaire que celui-ci subit depuis 2021 s’inscrit dans la stratégie de Macky Sall. Il a fini par mettre son adversaire en prison, mais c’est une victoire à la Pyrrhus.

Les émeutes qui ont éclaté dans le pays ont déjà fait 23 morts et de nombreux blessés. Même si le calme semble revenu au bout de quelques jours d’émeutes, la colère est loin d’être effacée. Certains commentateurs oublient de préciser que la plupart de ceux qui manifestent ne sont pas spécialement des « partisans de Sonko » mais des gens, notamment des jeunes, qui sortent dans la rue pour crier leur colère contre ce gouvernement qui est sourd devant leur détresse, contre la misère dans la quelle ils vivent depuis des années et dont ils ne voient pas le bout. Ils en ont mare des promesses que Macky Sall leur fait depuis qu’il est au pouvoir et qui ne se concrétisent jamais. Le chômage ne fait que s’aggraver alors que la vie devient de plus en plus chère.

La flambée des prix qui a suivi la crise du Covid en 2019, puis celle qui a suivi la crise économique consécutive à la guerre en Ukraine, ont aggravé les conditions d’existence de la majorité de la population qui vivait déjà dans la pauvreté.

C’est là qu’il faut chercher les causes profondes des explosions de colère depuis 2021. Le procès de Sonko n’a servi que de détonateur.

Certains jeunes croient néanmoins que si Sonko était élu à la place de l’actuel président, la situation s’améliorerait pour eux et pour leurs familles, qu’il y aurait plus de travail, moins de corruption, etc. Ils ont déjà oublié que certains disaient la même chose de Macky Sall face à son prédécesseur Wade, de même que les partisans de ce dernier ne disaient que du bien de lui quand il était l’opposant d’Abdou Diouf. Les illusions électorales ne font que se répéter depuis des générations mais la situation de la majorité de la population ne fait que s’aggraver.

Les travailleurs n’ont rien à espérer de Sonko ou d’un autre prétendu sauveur du peuple. Ils ne peuvent compter que sur leur capacité de prendre en charge eux-mêmes la défense de leurs intérêts. Face à la vie chère qui ne cesse de grignoter le peu qu’ils gagnent, il faut que les salaires augmentent de manière significative pour permettre à chacun de vivre décemment de son travail. Face au chômage massif, il faut obliger le patronat et le gouvernement à embaucher. Tous les moyens de l’État doivent être mis pour combattre la misère, pour créer des logements décents et à la portée des travailleurs, pour que les hôpitaux publics ne soient plus des mouroirs pour pauvres mais de vrais lieux de soins pour ceux qui n’ont pas les moyens de fréquenter les cliniques payantes, que les écoles publiques soient des lieux d’épanouissement pour les enfants des classes populaires et non des fabriques de chômeurs, etc.

Tout cela est réalisable si la classe ouvrière prend conscience de sa force et de ses capacités d’action. Elle peut prendre en main son propre destin, sans compter sur tel ou tel candidat à la présidence.