Au procès de l’assassinat de Thomas Sankara, les donneurs d’ordre resteront impunis

15 novembre 2021

Burkina faso

Le 15 octobre 1987, Thomas Sankara et 12 de ses compagnons ont été tués par un commando agissant pour le compte de Blaise Compaoré. Celui-ci prendra ensuite le pouvoir à Ouagadougou et le conservera durant 27 années par la terreur avec le soutien de l’impérialisme français et de son principal valet régional Houphouët Boigny, jusqu’à son renversement par une insurrection populaire en 2014.

34 ans après les faits, le procès de cet assassinat est enfin ouvert à Ouagadougou. Quelques uns des partisans de Blaise Compaoré sont passés à la barre et ont donné leur version des faits et quelques détails sur la préparation de l’assassinat, mais le principal accusé, Blaise Compaoré est aux abonnés absents car il est allé se réfugier en Côte d’Ivoire chez son ami et protecteur Ouattara. Et celui-ci refuse de le livrer aux autorités burkinabés.

Le renversement de Sankara n’aurait pas pu avoir lieu sans au minimum l’aval des autorités françaises qui ne voyaient pas d’un bon œil le pouvoir de ce bouillant capitaine à la phraséologie nationaliste. Dans une récente déclaration devant la presse, Jack Lang, ancien ministre de la Culture de François Mitterrand (il était alors au pouvoir) a dit qu’il était « prêt à apporter un témoignage humain et personnel » devant le tribunal à Ouagadougou et qu’il ne peut pas « imaginer une seconde » que François Mitterrand ait pu jouer un rôle dans le renversement et l’assassinat de Sankara. « Très souvent, dit-il, il m’est arrivé de parler à François Mitterrand de Thomas Sankara. Il avait pour lui beaucoup de sympathie et d’amitié… ». C’est certainement pour cela que malgré les promesses de Macron d’ouvrir les archives de l’État français concernant cet évènement, elles sont toujours classées « secret défense ». Ne sont rendues publiques que quelques archives de la diplomatie française, et encore lorsqu’elles ne concernent que quelques aspects mineurs ! Les barbouzeries de l’État français dans ses anciennes colonies d’Afrique ne seront pas dévoilées de si tôt !

Nombre de dictateurs voisins comme Houphouët Boigny en Côte d’Ivoire ou bien Moussa Traoré au Mali, voulaient aussi en découdre avec Sankara car ils n’appréciaient pas ses discours anti impérialistes et ses critiques contre leur pouvoir à la solde de l’ancienne puissance coloniale.

À l’intérieur du Burkina Faso, Sankara s’était fait des ennemis au sein des notables traditionalistes car il avait restreint leurs prérogatives, interdit la polygamie et le lévirat (coutume qui obligeait une veuve d’épouser le frère de son mari).

Dans la fonction publique, les salaires ponctionnés de 5 à 12 % selon les revenus, ont aussi créé des mécontentements, de même que la lutte contre la gabegie et la corruption, notamment au sein de l’administration.

Certains partis politiques et syndicats dénonçaient aussi les agissements du pouvoir de Sankara, notamment ceux des CDR (Comités de Défense de la Révolution) qui n’hésitaient pas à emprisonner ou à violenter ceux qui s’opposaient au régime. Un incendie criminel a détruit les locaux abritant l’imprimerie du quotidien l’Observateur qui critiquait le pouvoir. Des enseignants qui faisaient une grève revendicative ont été licenciés, d’autres emprisonnés, etc.

Le coup d’État de Blaise Compaoré a eu lieu au moment où la popularité du régime de Sankara s’effritait. La totalité de la vérité sur son assassinat ne sera pas faite durant le procès qui se tient actuellement et le principal accusé restera encore longtemps impuni. Mais ce procès aura servi au moins à évoquer une page de l’histoire du Burkina Faso.

Certains admirateurs de Sankara tentent de mettre en valeur son « panafricanisme » ou son « anti-impérialisme » sur la base de ses discours à l’ONU, au sommet de l’OUA ou devant les médias, mais ils omettent par exemple de rappeler que le premier « acte de bravoure » qui a permis a Sankara de se faire connaître et de devenir populaire au sein d’une partie de l’armée et de la jeunesse voltaïque, c’est d’avoir participé à la guerre contre le Mali en 1974 à propos d’un litige frontalier hérité de la colonisation. Il s’agit de la zone dite de la « Bande d’Agacher » longue de 160 km et large de 20 km, au nord du Burkina Faso. Chacun des deux États réclamait la propriété de cette bande. Sankara n’était alors qu’un lieutenant. À la tête d’un commando, il réussit « l’exploit » de prendre possession du village de Douma en tuant deux soldats maliens et en s’emparant de leurs armes. La guerre dura deux jours mais, à part le commando de Sankara, l’armée voltaïque fut déconsidérée, notamment par la jeunesse de ce pays…

La deuxième guerre pour la possession de cette même bande de terre a eu lieu en décembre 1985. Cette fois-ci, Sankara était au pouvoir et c’est Moussa Traoré le dictateur malien qui en a pris l’initiative en déclenchant une attaque sur quatre villages le jour de Noël. Les affrontements violents ont duré six jours. L’armée malienne a mobilisé 8 000 hommes, 87 chars et 13 avions tandis que l’État burkinabé a mobilisé 5 000 hommes 15 autos blindées et 18 chars.

Cette guerre s’est soldée par 141 morts et près de 300 blessés burkinabé contre 38 morts et 17 blessés maliens. Ce litige a été réglé quelques années plus tard par un arbitrage international mais les affrontements ont laissé des souvenirs amers au sein des populations de cette zone frontalière qui ne demandaient qu’à vivre en paix car elles étaient parfois de la même famille. Personne n’a demandé leur avis sur le tracé de cette frontière totalement absurde, créée artificiellement par les colonisateurs pour diviser les populations et perpétuer leur domination sur leurs anciennes colonies devenues indépendantes.

Au Mali, des milliers de jeunes qui regardaient du côté de Sankara ont été désorientés avant de se braquer contre lui. Cela a fait le jeu de Moussa Traoré et de son sinistre ministre de l’Intérieur, Tiécoro Bagayoko.

Face au nationalisme de Moussa Traoré, Thomas Sankara a opposé son propre nationalisme en s’asseyant sur son prétendu panafricanisme. Son attitude durant cet épisode tragique de l’histoire de ces deux pays montre que l’homme d’État qu’il était, avait plus de points communs avec ses pairs africains que de véritables différences de fond.