Au Sénégal comme ailleurs, c’est la misère engendrée par le capitalisme qui pousse les migrants à risquer leur vie.
Depuis le retour de l’été, le nombre d’embarcations transportant des migrants à destination de l’Europe a fortement augmenté. Selon un habitant de Mbour, ville située 80 km de Dakar, une dizaine de pirogues seraient parties de la région depuis le mois de juin et ça continuera ainsi jusqu’en septembre. Elles partent aussi d’autres régions du Sénégal ou de la Mauritanie.
La misère qui pousse toujours plus de migrants à quitter le pays malgré les risques encourus, est plus grande que la peur de mourir noyé. Malheureusement, nombre d’entre eux perdent leur vie lors de la traversée car leurs embarcations ne sont pas faites pour affronter la haute mer.
Selon l’ONG Caminando Fronteras (qui œuvre pour la protection des droits des migrants) trois bateaux ont disparu avec au moins 300 migrants à bord, deux seraient partis de la région de Mbour fin juin et le troisième de Kafountine, une autre ville côtière du Sénégal. Deux semaines après, les recherches effectuées par les garde-côtes espagnols n’ont toujours rien donné.
Selon cette ONG, cette route migratoire partant des côtes de l’Afrique de l’Ouest vers les côtes espagnoles des Canaries, est l’une des plus dangereuses et meurtrières au monde. Au moins 250 embarcations (pirogues en bois ou canots pneumatiques cabossés) auraient coulé avec leurs passagers entre 2018 et 2022. Ces naufrages auraient causé la mort de 7 865 personnes originaires de 31 pays différents, dont 1 273 femmes et 383 enfants – soit une moyenne de 6 victimes par jour.
Avec l’aggravation de la crise économique et les flambées successives des prix des denrées alimentaires, la situation ne peut malheureusement qu’empirer et le désespoir poussera toujours plus de gens à tenter leur chance ailleurs, particulièrement vers l’Europe.
Depuis la création de Frontex (une agence européenne de gardes-frontières et de gardes-côtes) en 2004, les dirigeants des États européens tentent d’ériger un « mur » de surveillance militarisée autour de l’Europe pour dissuader les migrants. Le budget total alloué à Frontex, en constante augmentation depuis 2016, a dépassé les 754 millions d’euros en 2022, contre 535 millions l’année précédente.
Des agents, des armes, des véhicules, des drones, des bateaux et divers autres équipements de surveillance sophistiqués tels que des caméras thermiques, sont utilisés pour empêcher les migrants d’accoster sur les côtes européennes. En 2019, l’Union Européenne a renforcé Frontex en augmentant son budget et sa capacité d’intervention. Le nombre de gardes-frontières, actuellement 1 500, passera à 10 000 d’ici à 2027.
En même temps, l’UE exerce une forte pression sur les États africains, notamment sur le Sénégal qui est devenu au fil des ans un pays de transit pour rejoindre l’Europe. Une grande partie de l’aide européenne au développement est désormais conditionnée à la lutte contre la migration irrégulière. Des négociations sont en cours pour intégrer le Sénégal et la Mauritanie dans la stratégie de Frontex.
Les dirigeants de ces deux pays sont évidement tentés par cette manne dont une partie pourra éventuellement atterrir directement sur leurs comptes personnels. Ceux de la Mauritanie sont déjà en négociation avancée mais ceux du Sénégal semblent hésiter car en cette période ou le gouvernement fait face à une contestation sociale importante, beaucoup de voix s’élèvent déjà pour l’accuser de vouloir jouer le rôle de garde-côte des pays européens.
Les braises des dernières émeutes qui viennent de secouer le pouvoir de Macky Sall ne sont pas encore totalement éteintes et le gouvernement craint de provoquer la moindre étincelle. C’est cette crainte qui a conduit le ministre de l’Intérieur de Macky Sall à intervenir précipitamment devant les caméras dès que la nouvelle de la disparition de trois bateaux transportant au moins 300 migrants, a commencé à faire du bruit sur les réseaux sociaux. Il a voulu calmer les esprits en déclarant que c’est une fausse information et que ceux qui étaient considérés comme disparus ont « été secourus dans les eaux territoriales marocaines » et qu’ « ils se portent bien ».
Il se trouve qu’en déclarant cela c’est lui qui se trouve en flagrant délit de fausse information puisque les 276 personnes secourues dont il parle n’ont rien à voir avec les 300 disparues qui sont toujours recherchées. C’est l’ONG Caminando Fronteras qui a « rectifié » les paroles du ministre de l’Intérieur. La prochaine fois il tournera peut-être sept fois sa langue dans sa bouche avant de dire des sottises.
Probablement poussé par la même crainte, Macky Sall a déclaré récemment qu’il ne briguera pas un troisième mandat présidentiel à l’occasion de l’élection prévue pour février 2024. S’il croit que ça suffira pour calmer la colère de la population, il fait fausse route.
Les raisons profondes qui poussent de nombreux jeunes issus des classes pauvres à partir coûte que coûte vers l’Europe, sont en parties les mêmes que celles qui poussent une partie de la jeunesse des quartiers populaires des grandes villes à sortir dans la rue pour crier leur colère contre le pouvoir en place. Ces raisons sont le chômage, la vie-chère et la misère c’est-à-dire les conséquences du capitalisme auxquelles s’ajoutent l’arrogance et le mépris du pouvoir.