Ce n’est pas aux travailleurs de payer les pots cassés !

29 juin 2023

SÉNÉGAL

Dès le 1er juin, jour de l’annonce de la condamnation d’Ousmane Sonko à 2 ans de prison ferme pour «corruption de la jeunesse», le gouvernement sénégalais a coupé le réseau internet en croyant que cette mesure allait empêcher les gens de se mobiliser et de sortir dans la rue pour protester contre le pouvoir de Macky Sall, mais cela n’a fait qu’augmenter la colère des manifestants.

Tout le monde sait qu’à travers ce procès contre Sonko, le président sénégalais cherche à éliminer un concurrent susceptible de le gêner au cas où il déciderait de faire un 3ème mandat à la présidence. Les forces de l’ordre armées jusqu’aux dents et accompagnées de nervis, ont été envoyées massivement pour réprimer violement les manifestants, mais ceux-ci ont répondu aux attaques comme ils l’avaient fait deux ans plus tôt lors du premier procès de Sonko en mars 2021.

De nombreux magasins ont été saccagés et parfois incendiés, de même que des bâtiments de l’université de Dakar, des stations service, une gare de TER, des bus, etc. Les affrontements ont duré plusieurs jours dans la capitale mais aussi dans d’autres grandes villes du pays. Les petits commerçants ont aussi été durement impactés durant ces journées d’affrontements.

L’organisation Amnesty International fait état de 23 tués dont plusieurs par balles, principalement à Dakar et à Ziguinchor. Elle a dénoncé « un usage excessif de la force et des atteintes à la liberté d’expression et d’information ».

Le 6 juin, le gouvernement a annoncé le rétablissement du réseau internet. Cela ne servait à rien de poursuivre la coupure puisque de nombreux jeunes avaient trouvé dès le lendemain des astuces permettant de contourner le réseau officiel d’Internet mobile. Ils communiquaient sans problème en narguant les autorités.

Ce sont surtout les petites gens qui ont souffert de cette coupure car le téléphone est devenu un outil indispensable pour communiquer avec la famille mais aussi pour recevoir de l’argent ou pour acheter des marchandises via les plateformes de paiement par mobile. Comme c’était le début du mois, certains travailleurs qui devaient percevoir leur salaire par ce moyen en ont aussi fait les frais. Ceux qui devaient se déplacer à la banque pour toucher leur paie ont du attendre plusieurs jours car les banques avaient fermé leurs portes dès que les affrontements avaient commencé.

De nombreux travailleurs n’ont pas pu se rendre au travail car durant plusieurs jours, il n’y avait plus de transport public. Les bus Dakar Dem Dikk (société de transport public à participation majoritaire de l’État sénégalais) sont restés au dépôt car ils étaient devenus la cible des manifestants. Plus d’une centaine d’entre eux ont été incendiés.

De nombreux employés de commerce ont été mis en chômage technique suite à la fermeture de grandes surfaces, notamment chez Auchan. Selon le Syndicat national des travailleurs du commerce (Synatracom) 19 magasins appartenant à la chaine Auchan ont été mis à sacs. À la suite de quoi, toutes les autres grandes surfaces ont dû fermer par précaution. Selon ce syndicat, « 2300 emplois directs ont été perdus » chez Auchan, auxquels il faut ajouter « 500 employés indirects » des entreprises qui fournissent cette chaine de supermarché.

De son coté, le Syndicat National des Travailleurs du Pétrole et du Gaz du Sénégal fait aussi état de nombreuses pertes d’emplois dans les stations service qui ont subi des dégâts et qui ont été contraintes de rester fermées durant plusieurs jours. Selon son communiqué : « des boutiques et stations-service de sociétés privées nationales et/ou étrangères ont été particulièrement la cible de manifestants; ainsi TOTAL/Sénégal a enregistré la destruction de 27 stations-service et 10 boutiques, VIVO ENERGY (ex SHELL) a vu 17 de ses points de vente réduits à néant, et bien d’autres compagnies pétrolières ont subi des dommages de grande ampleur à travers leur réseau de distribution ».

Le représentant du patronat sénégalais a fait état d’une « perte de plusieurs centaines de milliards de francs CFA » subie par les entreprises. Soyons certains que la grande majorité de ces entreprises, notamment les plus grosses, se débrouilleront toujours pour se faire indemniser par l’État et par les assureurs. Mais les travailleurs, eux, risquent de perdre leur emploi sinon d’avoir des jours chômés imposés et non payés.

Ce qu’on peut observer pour le moment c’est que les travailleurs impactés font profil bas en attendant la reprise des activités et dans l’espoir de retrouver leur gagne-pain. En tout cas, du côté des dirigeants de la principale grande centrale syndicale du pays, la CNTS (Confédération nationale des travailleurs du Sénégal) la principale préoccupation du moment est celle de la « main tendue » et du « dialogue social » avec Macky Sall. Tout au plus, ils se contentent de « déplorer la situation » tout en évitant de porter la moindre critique contre le pouvoir actuel.

Autant dire que ce n’est pas du côté de ces gens-là que les travailleurs peuvent trouver des appuis pour défendre leurs intérêts face au pouvoir et face aux attaques du patronat. Celui-ci fera tout pour maintenir les salaires au plus bas tout en aggravant encore plus les conditions de travail afin de maintenir ses profits au plus haut. Le représentant du patronat sénégalais a déjà annoncé la couleur en disant qu’il faudra s’attendre à des hausses de prix comme lors de la crise du covid en 2019.

S’il n’y a pas de réaction des travailleurs et de la population face à toutes ces attaques du moment et de celles à venir, cela se traduira inévitablement par l’aggravation de la misère.