Combien de temps dureront les rapports de bon voisinage ?

28 septembre 2019

ETHIOPIE-ÉRYTHRÉE

Depuis le 8 juillet 2018, les dirigeants éthiopiens et érythréens ont mis fin à un conflit d’environ vingt ans. Abiy Ahmed et Issayas Afewerki ont signé un accord de paix à Asmara, la capitale érythréenne. Et pour la première fois, les relations diplomatiques ont été rétablies entre ces deux pays. Ils ont aussi rétabli le trafic aérien et la libre circulation des personnes et ainsi la possibilité pour l’Ethiopie enclavée, d’avoir accès à la mer Rouge pour les transports de marchandises. L’accord prévoit la restitution à l’Erythrée du territoire contesté, dont la ville de Badmé.

L’Erythrée était colonisée par l’Italie de 1896 à 1954. Elle a été occupée ensuite par l’Éthiopie de Haïlé Sélassié. Depuis la chute de ce dernier, elle a dû engager une lutte armée pour son indépendance, conquise en 1993.

Les deux pays « frères » étaient en état de guerre depuis 1998 pour un petit bout de territoire dans le nord de l’Éthiopie. Ce conflit frontalier a coûté la vie à plus de 80 000 personnes et ruiné les deux États.

Depuis 1993 jusqu’à aujourd’hui, isolée du monde extérieur, l’Erythrée est dominée par une dictature féroce. Aucune opposition n’est autorisée, la liberté de presse n’existe pas. C’est le pays où il y a le plus grand nombre de journalistes emprisonnés dans le monde. Tous les jeunes sont obligés de servir dans l’armée pendant un temps indéterminé. En plus, le chômage est endémique. C’est pour cela que de nombreux ressortissants de ce pays essaient de quitter le pays. Aujourd’hui l’Érythrée sort de son isolement grâce aux nouveaux liens avec l’Éthiopie.

L’Éthiopie, quant à elle, a eu une évolution différente. Depuis la chute de Mengistu Haïle Mariam en 1992, le pays était dirigé par une junte militaire issue d’une minorité ethnique, les Tigréens. Ces derniers représentent 6% de la population alors que les Oromos et Amharas qui totalisent 60%, n’étaient pas représentés au sein des autorités dirigeantes du pays. Tout comme l’Erythrée, ce pays manquait aussi de libertés. Les journalistes n’étaient pas libres. Cette situation a déclenché une vague de protestation au sein de la population à partir de 2010. Le gouvernement a réprimé les manifestations et emprisonné des dizaines de milliers d’opposants et de journalistes.

Lors des dernières élections, une équipe d’Oromo et d’Amhara a pris le pouvoir, ce qui a déclenché un vent d’enthousiasme. Le nouveau dirigeant, Abiy Ahmed, a entrepris de nouvelles réformes, en particulier en libérant la majorité des journalistes et opposants politiques. Il est certain qu’il a acquis une popularité et cela a ramené le calme dans le pays.

Par ailleurs, l’Éthiopie affiche une croissance économique d’environ 10% depuis une vingtaine d’années, ce qui est exceptionnel en Afrique. De grands chantiers ont été réalisés. La nouvelle ligne de chemin de fer Djibouti-Addis Abeba est terminée et fonctionne. Le tramway d’Addis Abeba aussi. La construction de beaux immeubles modernes change complétement l’image de la ville, mais au détriment de la population pauvre qui est chassée vers la banlieue. Le plus grand barrage d’Afrique sur le Nil bleu est en construction. Les grandes réalisations sont faites par la Chine et les capitalistes occidentaux.

On peut dire que l’Éthiopie, avec ses 90 millions d’habitants, représente un poids politique et économique en Afrique de l’Est. Toutes les grandes puissances capitalistes sont intéressées par sa situation géographique, face au Moyen Orient, et par sa croissance économique. L’Éthiopie représente un marché non négligeable pour les impérialistes.

Le conflit frontalier avait rendu la situation invivable pour les deux pays. Pour l’Erythrée, l’accord de paix est une façon de sortir de son isolement politique et économique. Tandis que pour l’Éthiopie, c’est une façon d’ouvrir son marché économique vers un pays d’environ 6 millions d’habitants, de renforcer sa position et d’avoir un accès à la Mer Rouge.

Combien de temps va durer ce rapport de « bon voisinage » ? Personne ne peut le prévoir. Il suffit de peu de choses pour que des désaccords ressurgissent, sans compter que de part et d’autre un groupe de galonnés pourraient être tentés de jouer leurs cartes et mettre fin au processus.