Éditorial

Démagogie sur la cherté de la vie et répression contre ceux qui ne marchent pas au pas

08 avril 2023

SÉNÉGAL

L’année dernière, alors que la population faisait face à la flambée des prix des denrées alimentaires, des loyers, du carburant et des prix du transport, Macky Sall avait promis de prendre « 55 mesures » pour lutter contre la cherté de la vie. Parmi ces mesures il y avait, la baisse des loyers et des prix de certaines denrées de base comme le sucre, le riz, l’huile le lait et autres produits. Plusieurs mois ce sont écoulés depuis cette annonce, mais les prix n’ont cessé de grimper.

Les travailleurs dont les salaires sont restés bloqués alors qu’ils ne permettaient déjà pas de joindre les deux bouts avant la flambée des prix, sont obligés de sauter le repas de midi et se contenter d’une simple bouillie pour tenir au travail. À cause des loyers devenus exorbitants, les familles des classes populaires sont obligées de déménager vers des banlieues éloignées, mais cela augmente le prix du transport, donc des dépenses supplémentaires. C’est un cercle infernal dans lequel sont enfermées les classes populaires urbaines.

Dans les campagnes, les petits paysans vivent aussi dramatiquement la cherté des denrées autres que ce qu’ils produisent dans leurs champs. Pour acheter du sucre, de l’huile, de la farine, du pétrole et autres produits industriels, ils doivent se démener pour gagner un peu d’argent en vendant leurs produits à des collecteurs qui travaillent pour des grossistes. Avec leurs maigres recettes gagnées au prix d’énormes efforts, ils ne parviennent pas à faire face au renchérissement des produits qu’ils sont obligés d’acheter auprès des commerçants. Ils s’enfoncent inexorablement dans une misère toujours plus profonde. Dans ces conditions, le moindre aléa climatique devient une tragédie.

Pour les petites gens qui vivent essentiellement de la pêche le long des côtes, la situation n’est guère meilleure. Les pêcheurs qui survivaient en risquant leur vie sur des petites pirogues le long des côtes ne trouvent plus assez de poissons pour faire vivre leurs familles à cause de gros bateaux de pêche raflant tout sur leur passage. Ces bateaux appartiennent à de grandes sociétés de pêche industrielle et celles-ci ne sont pas du tout inquiétées pour les ravages qu’elles causent car elles bénéficient d’une sorte d’impunité en échange de dessous de table mais aussi du fait de l’incapacité de l’État sénégalais à contrôler son aire maritime.

Cette raréfaction du poisson proche des côtes pousse les petits pêcheurs à s’aventurer toujours plus loin et cela se traduit par plus d’accidents et de morts par noyade. De nombreux pêcheurs en détresse sont contraints d’abandonner cette activité et viennent grossir le nombre de chômeurs et de candidats à l’émigration vers l’Europe ou ailleurs.

Ce sont des millions de personnes faisant partie des classes populaires qui se trouvent ainsi dans une situation de détresse en ville, à la campagne et le long des côtes. Mais leur triste sort ne fait pas partie des préoccupations du pouvoir de l’actuel président Macky Sall. Actuellement, son souci principal est de s’accrocher au pouvoir et de trouver éventuellement le moyen de faire un 3ème mandat présidentiel. Il fait tout pour bâillonner les journalistes et les médias qui osent le critiquer. Certains journalistes ont été condamnés et emprisonnés pour des motifs complètement bidon. Ousmane Sonko, le principal adversaire politique de Macky Sall est aussi poursuivi pour diffamation, viol, insultes, etc.

Ces derniers mois, de nombreuses manifestations de l’opposition ont été interdites mais cela n’a pas empêché des dizaines de milliers de personnes, principalement des jeunes, de sortir de nouveau dans la rue le 14 mars dernier, deux jour avant le 2ème procès d’Ousmane Sonko. Il y a eu des affrontements violents avec les forces de l’ordre. Le procès a été reporté au 30 mars mais de nouvelles manifestations ont eu lieu. Dakar a tourné au ralenti, de nombreux commerçants ont préféré fermer leurs boutiques, les transports publics suspendus et les écoles fermées. La date du début des vacances scolaires d’avril a été avancée de quelques jours pour obliger les élèves à rentrer chez eux.

Ce que craint le gouvernement sénégalais ce n’est pas l’opposant Ousmane Sonko mais essentiellement la colère d’une partie de la population, notamment celle de la jeunesse, qu’il cristallise actuellement. Cette colère pourrait devenir contagieuse, dans les quartiers populaires, la moindre étincelle est une menace d’embrasement. Le gouvernement et les habitants de ces quartiers ont encore en mémoire les émeutes de mars 2021 et les affrontements avec les forces de l’ordre qui ont duré plusieurs jours et qui ont fait beaucoup de victimes et de dégâts importants.

Jusqu’ici la classe ouvrière de ce pays subit la crise économique et fait le dos rond. Les salaires sont bloqués depuis des années malgré les hausses de prix en cascade. La pression du chômage est telle que l’écrasante majorité des travailleurs n’ose pas se mettre en grève pour réclamer des augmentations de salaire. Mais les principales centrales syndicales qui ont pignon sur rue ne proposent pas non plus de ripostes collectives pour encourager les travailleurs à entrer en lutte. Les dirigeants de ces centrales, quand ils ne sont pas de simples courroies de transmission à la solde du pouvoir, sont plus préoccupés par le financement de leur boutique et les privilèges qu’ils en tirent que par le sort de la classe ouvrière. Mais à force de rester sourd devant la détresse des familles ouvrières, le gouvernement de Macky Sall et les gros actionnaires des usines qui exploitent les travailleurs pour tirer le maximum de profits sur leur dos, finiront par récolter la colère qu’ils méritent.

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