Nouvelle offensive du pouvoir contre le mouvement indépendantiste en casamance

25 février 2021

SÉNÉGAL

Depuis le 26 janvier 2021, l’armée sénégalaise a lancé une offensive de grande ampleur dans la région sud de la Casamance pour reprendre le contrôle de cette zone considérée comme base historique du mouvement indépendantiste MFDC (Mouvement des Forces Démocratique de Casamance). Le gouvernement sénégalais, tout en prétendant vouloir la paix avec ce mouvement, a bombardé des villages soupçonnés d’abriter des caches d’armes.

Le bilan humain de cette intervention militaire qui est toujours en cours est impossible à évaluer car le gouvernement sénégalais ne communique au public que ce qui l’arrange. Les quelques témoignages qui ont filtré ont pourtant montré que l’armée sénégalaise a incendié des villages et des champs sous prétexte que c’était des champs de cannabis dont le trafic est sous le contrôle de la rébellion armée, alors qu’il s’agissait parfois de plantations d’anacardiers ou de champs vivriers. Les villages montrés à la presse sont déserts. Que sont devenus les habitants ? La presse n’a eu droit qu’à quelques clichés des armes et munitions de la rébellion saisies par l’armée sénégalaise.

Un haut gradé qui dirige cette opération militaire affirme que son objectif est «de créer les conditions sécuritaires pour favoriser le retour de la population». Mais, loin de favoriser la sécurité des populations de cette région agricole, ce genre d’opé-ration ne fait que les terroriser, les forcer à quitter leurs terres et à augmenter le nombre de réfugiés errant d’un endroit à un autre, dépourvus de leurs seuls moyens de subsistance. Même ceux qui veulent revenir ne le peuvent pas car ils sont pris comme cibles, d’une part par l’armée sénégalaise qui les traite comme des complices de la rébellion et d’autre part par les branches armées du MFDC qui les obligent à s’allier à elles. De plus, les paysans ne peuvent plus cultiver leurs terres à cause des mines anti-personnel qui ont été enfouies un peu partout par la rébellion et par l’armée sénégalaise.

Cette guerre qui a commencé en 1982 a déjà fait officiellement plus de 5 000 morts dont 800 causés par les mines anti-personnel. Ces chiffres sont probablement bien en dessous de la réalité. À ces morts, il faut ajouter les dizaines de milliers de familles qui ont été obligées de quitter leurs villages et qui ont tout perdu. La Casamance qui était jadis considérée comme le « grenier » du Sénégal est devenue au fil des années une région sinistrée et dévastée, particulièrement sa partie sud la plus fertile.

Aux origines du mouvement indépendantiste

À sa création en 1947, le MFDC était un parti politique comme bien d’autres nés au lendemain de la deuxième guerre mondiale. Ses fondateurs tels qu’Émile Badiane, Victor Diatta, Ibou Diallo et Édouard Diallo, faisaient partie de l’élite sénégalaise au même titre que Senghor, Mamadou Dia et bien d’autres qui ont fait carrière dans la politique sous l’administration coloniale puis après l’indépendance.

Le MFDC ne se distinguait des autres partis politiques ni par son caractère ethnique ni par l’appartenance religieuse. Parmi ses dirigeants il y avait des Diolas comme Émile Badiane mais aussi des Peuls comme Ibou et Édouard Diallo. Certains étaient de religion chrétienne, d’autres étaient musulmans ou animistes. Leur parti ne réclamait pas l’indépendance de la Casamance mais plus de place dans l’administration, notamment dans la gestion de leur région et un peu plus d’infrastructures pour la sortir de son isolement et de son retard par rapport à d’autres régions.

En 1952, alors que le Sénégal était encore une colonie française, le MFDC s’allia avec le parti de Senghor lors des élections de conseillers locaux. Cette alliance se manifestera aussi en 1958 lors du référendum organisé par de Gaulle sur la « Communauté française » et au cours duquel ils ont, d’un accord commun, appelé à voter pour le « Oui ».

Il y aura aussi d’autres alliances au moment de l’indépendance du Sénégal et même au-delà, jusqu’en 1970. Emile Badiane, un des fondateurs historiques du MFDC deviendra même, de 1963 à 1972, responsable régional de l’UPS de Casamance (le parti de Senghor qui prendra par la suite le nom de Parti Socialiste). Senghor le nomma ministre de l’Enseignement technique et de la formation des cadres, puis ministre de la Coopération jusqu’à sa mort en décembre 1972. Ibou Diallo, un autre fondateur du MFDC, fut nommé en 1961 « ministre délégué » auprès du Président de la République et ensuite ministre de la Santé et des Affaires sociales jusqu’en 1962, date de l’arrestation de son compagnon politique Mamadou Dia accusé par Senghor de tentative de coup d’État.

Au moment de l’indépendance du Sénégal, Senghor avait vaguement promis aux dirigeants du MFDC d’accorder une certaine autonomie à la Casamance afin de permettre à ses cadres de participer plus largement à la gestion de leur région. Mais ce fut la déception et cela favorisa l’émergence d’une nouvelle génération de militants un peu plus revendicatifs, d’autant plus que l’appareil d’État sénégalais leur offrait de moins en moins de débouchés pour satisfaire leurs ambitions de carrière. C’est ainsi que va naître l’aspiration à l’indépendance au sein de l’élite casamançaise.

La répression de décembre 1982 et la naissance du bras armée du MFDC

Le 26 décembre 1982, le MFDC organise une marche pacifique à Ziguinchor, principale ville de la Casamance. Plusieurs centaines (ou plusieurs milliers selon les sources) de personnes, dont des femmes et des enfants, marchent pacifiquement vers la Gouvernance, siège de l’administration régionale. Certains portent des pancartes sur lesquelles est inscrit « Casamance libre ». Arrivés à la Gouvernance, les manifestants descendent le drapeau national pour le remplacer par un drapeau blanc. La police charge violemment et fait plusieurs blessés. Il y a aussi de nombreuses arrestations, dont celle de l’abbé Augustin Diamacoune Senghor qui venait de prendre la direction politique du MFDC.

Un an plus tard, le 4 décembre 1983, s’ouvre le procès des manifestants. Le MFDC appelle ses partisans à manifester pour les soutenir et en même temps pour commémorer l’anniversaire de la répression de 1982. Avant que le procès ait lieu, le gouvernement procède à de nombreuses arrestations pour tenter de démobiliser la foule, mais c’est l’inverse qui se produit. Le 6 décembre, alors qu’une réunion clandestine se tient à Diabir, trois gendarmes qui tentent d’y pénétrer sont tués et plusieurs autres blessés. Quelques jours plus tard, le 17 décembre, des manifestants se dirigent de nouveau vers la Gouvernance. Ils sont sauvagement réprimés, plusieurs dizaines de corps sans vie jonchent le sol devant le bâtiment administratif mais aussi dans les rues de Ziguinchor. Les autorités sénégalaises ont chiffré le nombre de morts à 24 mais selon certaines sources, il y en a eu plusieurs centaines auxquelles il faut ajouter de nombreux blessés et une centaine d’arrestations.

La nouvelle du drame se répand de village en village à travers toute la région. De nombreuses familles sont endeuillées et en colère contre les autorités. C’est ainsi que la « rébellion casamançaise » est née. Le MFDC se radicalise et crée en 1985 sa branche armée Atika (le combattant, en langue diola) à l’initiative de Sidy Badji, un ancien combattant de l’armée française. C’est le début de la guerre entre l’État sénégalais et le MFDC. Ce dernier a trouvé des appuis auprès des autorités Gambiennes et Bissau-guinéennes qui n’avaient pas d’atomes crochus avec les dirigeants sénégalais.

L’affaiblissement du MFDC et la nouvelle donne géopolitique

Au fil des ans et
surtout depuis le décès de l’abbé Diamakoune Senghor en janvier 2007, le MFDC s’est affaibli et s’est divisé en plusieurs branches, chacune menant sa politique. Les chefs de guerre se sont transformés en chefs de bandes s’adonnant à toutes sortes de trafics le long de la frontière avec les pays voisins. Loin de chercher le soutien et la sympathie de la petite paysannerie qui souffre de la misère, du déracinement et du mépris du pouvoir central, ils se comportent comme des gangsters qui rackettent et terrorisent les petites gens. Ils ont fini par perdre le peu de crédit politique qu’ils avaient au début de la rébellion.

Le renversement du dictateur gambien Yahya Jammeh en janvier 2017 grâce à un coup de main de l’armée sénégalaise, ne permet plus aux branches armées du MFDC de se replier en Gambie. À cela va s’ajouter un deuxième coup, celui de l’arrivée au pouvoir en Guinée-Bissau d’Umaro Sissoco Embaló en février 2020. Celui-ci est plus favorable au rapprochement avec le Sénégal que son prédécesseur.

Le MFDC perd ainsi ses deux principaux soutiens frontaliers et se retrouve affaibli financièrement et stratégiquement tandis que le gouvernement sénégalais saisit l’occasion pour renforcer sa présence militaire et démanteler les branches armées de ce mouvement. La dernière offensive a commencé le 26 janvier 2021 et est en cours.

L’impasse du nationalisme

Tous les présidents qui ont succédé à Senghor ont déclaré vouloir la paix avec le MFDC tout en renforçant la présence militaire et la répression en Casamance. De nombreux accords de paix ont été signés mais mort-nés. L’actuel président Macky Sall y est allé aussi de son couplet sur sa prétendue volonté de parvenir à une «une paix définitive». Mais depuis près de 40 ans, il n’y a pas eu de véritable paix.

Le pouvoir comme les partis d’opposition partagent l’idée que «la souveraineté n’est pas « négociable ». Le « grand » nationalisme sénégalais est opposé au « petit » nationalisme casamançais. Les divergences de points de vue entre le pouvoir et son opposition, quand divergences il y a, sont purement politiciennes. Les intérêts de la grande majorité de la population qui, en Casamance comme dans le reste du pays, souffre du chômage, de la misère et de la vie chère, sont le dernier de leurs soucis. Ils ne cherchent qu’à conserver le pouvoir ou à y parvenir pour s’enrichir tout en servant les intérêts des capitalistes qui exploitent les travailleurs et les petits paysans et qui pillent les richesses naturelles du pays.

L’avenir pour les exploités, au Sénégal comme ailleurs, n’est pas dans le repli identitaire qu’il soit ethnique, national, religieux ou autres, mais dans l’unité et dans la lutte contre l’exploitation capitaliste et contre toutes formes d’oppression. Le colonialisme a tracé des frontières artificielles entre les peuples pour les diviser. La création de nouveaux États-croupions à l’intérieur de nouvelles frontières encore plus étriquées que celles laissées par la colonisation ne permettra tout au plus qu’à une minorité de nouveaux parvenus de racketter l’écrasante majorité de la population.

En prenant le pouvoir des mains de la bourgeoisie, le prolétariat révolutionnaire africain abolira aussi les frontières que l’impérialisme a créées de toute pièce pour asseoir sa domination.