Procès de l’ex-dictateur tchadien à Dakar : est-ce la fin du cinéma politico-judiciaire ?

11 juin 2016

Tchad

Le cinéma politico-judiciaire fait autour du procès de l’ex-président-dictateur du Tchad Hissen Habré va-t-il enfin trouver une issue ? En tout cas, le 30 mai dernier il a été condamné à Dakar par le « tribunal spécial africain » à la prison à perpétuité pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre et viols.

Pour en arriver là, les plaignants ont surmonté bien des obstacles. Leur quête a commencé dès 1990 avec la fuite de Habré du Tchad. C’est le gouvernement français qui a demandé à Abdou Diouf de lui accorder l’asile politique au Sénégal.

Mais son procès traînait en longueur. Tantôt on disait que le Sénégal n’était pas habilité à juger Habré, les crimes ayant eu lieu dans un autre pays ou qu’il manquait d’argent (27,5 millions d’euros) pour organiser le procès. Tantôt on disait qu’il fallait l’extrader vers le Tchad où le 15 août 2008, il fut condamné à mort par contumace pour crimes contre l’humanité suite à une « Commission d’enquête » nationale. Or Deby, le président actuel, était le bras droit et l’exécuteur des basses œuvres de son ancien maître Habré. Ironie du sort, il n’a pas osé demander son extradition de peur d’être lui-même éclaboussé par des révélations des témoins. Il était aussi question de l’extrader vers la Belgique où des victimes avaient porté plainte en 2003.

Puis coup de théâtre : l’Union Africaine décida en juillet 2006 que le procès se tiendrait à Dakar alors que pendant des années les dictateurs de cette organisation s’opposaient à ce que l’un des leurs – même déchu – puisse être traîné devant les tribunaux. Ils craignaient de subir le même sort s’ils perdaient un jour le pouvoir.

À l’annonce de cette condamnation de l’ex-dictateur tchadien, la joie a éclaté à Dakar mais surtout à Ndjaména parmi les victimes et les parents et amis des victimes. C’est le soulagement : « Enfin la justice a triomphé » ou «Le bourreau a été puni » clame-t-on.

C’est en 1982 que Hissen Habré et ses Forces armées du Nord (FAN) renversèrent le dictateur Goukoni Oueddei, au pouvoir depuis 1979. Idriss Déby, alors Commandant en chef des FAN, devint Conseiller de Habré pour la Défense et la sécurité. Après une tentative de coup d’État manqué contre Habré en avril 1989, Déby se réfugia au Soudan où il créa le Mouvement patriotique du salut (MPS). Il remporta des victoires contre les FAN et progressa vers la capitale. Fin novembre 1990, Deby prit le pouvoir à Ndjaména avec le consentement du gouvernement français, et obligea son ancien compagnon de lutte à quitter le pays. Habré se réfugia d’abord au Cameroun voisin puis à Dakar. Depuis il vit sans inquiétude dans le luxe de son palais. Il fait même des affaires et entretient une suite nombreuse de Tchadiens qui l’ont suivi dans son exil doré grâce à des millions de francs CFA détournés des caisses de l’État.

Selon un bilan officiel, la répression contre les opposants et tous ceux qui n’étaient pas d’accord avec son régime dictatorial avait fait 40.000 morts et de nombreuses personnes rescapées portent encore les stigmates des tortures subies dans les locaux de la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS), la police politique dirigée par Habré en personne. Des femmes y étaient violées par les nervis du régime ; une victime qui a témoigné à Dakar a accusé l’ex-dictateur Habré de l’avoir violée. Dans le sud du pays une répression sanglante s’abattit en 1984 contre les « Codos », groupes de rebelles hostiles au régime de Ndjaména. Cette répression n’avait pas épargné les populations civiles.

Pendant son règne répressif, Habré bénéficiait du soutien actif du gouvernement français. Des instructeurs militaires de l’« Opération Manta » ou de l’« Opération Epervier » entraînaient des éléments de Habré. Quant au gouvernement américain, il lui apportait de l’aide militaire et mettait des agents de la CIA à son service. Sous prétexte de barrer la route à Kadhafi qui avait des visées sur une partie du nord du Tchad riche en pétrole; sous prétexte de contenir les actions des terroristes que Kadhafi finançait, ils avaient soutenu à bout de bras le régime de Habré.

Aujourd’hui, quand de hauts dirigeants français comme Jean Christophe Mitterrand qui, après Guy Penne, dirigeait la « Cellule Afrique » de l’Elysée à partir de 1986, affirme qu’il n’était pas au courant des crimes de Habré, c’est un gros mensonge. Quant à l’ex-ambassadeur de France à Ndjaména, il écrivait : « En 1984 j’ai refusé de couvrir ces violences dans le Sud et décidé d’alerter Paris ».

Dans ce procès, un sous-fifre a été condamné mais beaucoup de ses complices vivent en toute liberté à Ndjaména, en France ou ailleurs dans le monde. À 73 ans, Habré finira peut être ses vieux jours en prison, une prison dorée. Mais la politique de l’impérialisme français demeure la même : sauvegarder les intérêts de ses capitalistes au Tchad quitte à soutenir des dictateurs vomis par leur peuple.