Un nouvel accord de paix qui ne règlera pas grand’ chose

03 octobre 2014

Mali

Depuis le 1er septembre se déroule à Alger le « deuxième round » de pourparlers entre le gouvernement malien et des représentants de mouvements nationalistes touaregs du Mali. Tous les groupes armés touaregs ne sont pas présents mais seulement ceux qui ont accepté de signer, (toujours à Alger, sous l’égide des autorités algériennes), « la feuille de route » du premier round de pourparlers, un mois plus tôt.

Abdoulaye Diop, le représentant du gouvernement malien dans ces négociations d’Alger, a assuré que son gouvernement s’engageait à « accepter et à respecter totalement et entièrement dans les meilleurs délais possibles », les accords qui seraient adoptés au terme de ces négociations. De leur côté, les représentants des mouvements politiques et militaires touaregs ont aussi tenu à affirmer qu’ils souhaitaient une « solution définitive » sans pour autant exiger ouvertement une séparation totale et définitive avec l’État malien. Quant au chef de la diplomatie algérienne qui joue le rôle de « médiateur », il s’engage à œuvrer pour « une paix juste et durable au Mali ».

Le sort des accords précédents : mort-nés, ou presque !

Au vu du nombre d' »accords de paix » de ce genre, signés quelques années auparavant entre les représentants de l’État malien et ceux des mouvements indépendantistes touaregs (pas forcément les mêmes que ceux d’aujourd’hui mais ayant les mêmes ambitions politiques), on peut d’ores et déjà affirmer que les accords d’Alger seront caducs avant même qu’ils soient appliqués sur le terrain. Ce fut le cas de tous les accords précédents. Certains ont duré quelques mois ou quelques années, d’autres que quelques semaines.

Une des raisons, et non des moindres, est que ceux qui signent (tant du côté des mouvements rebelles que de l’État malien) ne représentent en général qu’eux-mêmes et sont susceptibles d’être désavoués à tout moment par leurs successeurs ou leurs concurrents.

C’est ainsi que vers la fin du règne de l’ancien dictateur Moussa Traoré, lorsque ce dernier, après avoir tenté de noyer dans le sang la rébellion dans le nord du Mali (entre octobre et décembre 1990), a été contraint de signer un premier « accord de paix » à Tamanrasset, en Algérie, en 1991. A peine ces accords ont-ils été signés que Moussa Traoré a été renversé par un coup d’État suite à une révolte estudiantine et populaire contre son régime. Sous le gouvernement de transition du colonel Amadou Toumani Touré, un « Pacte national » fut signé en 1992 entre l’État malien et les représentants des Mouvements et fronts unifiés de l’Azawad (MFUA). Les négociations furent menées avec la médiation de l’Algérie. Ce pacte avait été alors qualifié d' »historique » et prétendait déjà être une « solution définitive ». Il prévoyait un statut particulier pour les trois régions du Nord. Le nouveau dirigeant malien procéda à un nouveau découpage administratif du nord du Mali, avec des assemblées locales, régionales et interrégionales. Des combattants des MFUA furent intégrés dans les différents corps de l’armée malienne. Des grades d’officiers furent donnés à des dirigeants de la branche armée des MFUA, tandis que pour ceux de la branche politique il y eut des distributions de postes lucratifs dans la fonction publique ou des strapontins ministériels pour quelques-uns d’entre eux.

Mais pour les populations du Nord (pour les Touaregs comme pour les autres ethnies), il n’y a eu que des discours creux du genre « Aide au développement du Nord », ou des « projets » mirobolants de toutes sortes. Le peu d’argent qui avait été prévu dans ces projets a été dilapidé avant même qu’il y ait un début d’une quelconque réalisation utile à la population. Ceux qui en ont profité constituent une infime minorité de parasites et de voleurs se trouvant des deux côtés: tant de l’État malien que des appareils politico-mafieux des mouvements rebelles.

A peine un an après la signature des accords de Tamanrasset, c’est la fin de la « transition » conduite par Amadou Toumani Touré. Celui-ci cède la place au nouvel élu, Alpha Oumar Konaré, en avril 1992. Le nouveau président du Mali ne se sent pas tenu de respecter ce qui a été signé par son prédécesseur. Dès 1994, la rébellion reprend le maquis et les armes crépitent de nouveau au Nord, surtout dans la région de Kidal. Il y a eu des morts des deux côtés, mais c’est surtout la population pauvre de la région Nord (toutes ethnies confondues), qui en fait les frais. Le nombre de victimes civiles (si tant est qu’elles ont été dénombrées) n’a jamais été publié; quant aux réfugiés, ils se comptaient déjà par dizaines de milliers.

De nouveaux pourparlers ont lieu et se terminent par la signature de nouveaux accords, le 27 mars 1996 à Tombouctou. Les signataires poussent même leur cinéma de réconciliation jusqu’à organiser une cérémonie baptisée « la Flamme de la Paix », au cours de laquelle on procède publiquement à la mise au feu de 3 000 armes pour signifier que la « paix définitive » est maintenant arrivée. Hélas, cet accord de Tombouctou n’est une fois de plus qu’un feu de paille. A peine les cendres du grand feu ont-ils refroidi que le conflit armé a repris de plus belle.

Incapable de mettre fin à la rébellion armée, le nouveau pouvoir malien fut de nouveau contraint de signer d’autres accords du même acabit : Accords d’Alger (le 4 juillet 2006, puis le 16 novembre 2012 à Ouagadougou) .

Les derniers pourparlers qui ont commencé le 01 septembre 2014 à Alger ne sont donc que le nième du genre. Il n’y a objectivement aucune raison qu’il soit différent des précédents. Le régime malien d’Ibrahim Boubacar Keita, issu de l’élection il y un an, ne souhaite comme ses prédécesseurs, que d’en découdre avec la rébellion touareg. Il a beau fanfaronner sur sa prétendue volonté de ne pas céder « un seul centimètre du territoire national » aux séparatistes touaregs, mais d’une part il n’ a pas les moyens militaires pour éradiquer la rébellion; et d’autre part, ce n’est pas lui qui décide mais l’ancienne puissance coloniale. S’il n’y avait pas eu l’intervention militaire de la force Serval, les principales villes du Nord comme Gao et Tombouctou seraient probablement toujours entre les mains du MNLA ou d’autres branches militaro-politiques touaregs. Peut-être que d’autres villes seraient tombées entre leurs mains.

Quel avenir pour les travailleurs et les populations pauvres du Mali ?

Cette rébellion durera probablement encore pour une longue période. C’est un de nombreux héritages du découpage des frontières par l’ancienne puissance coloniale française. Ce n’est pas seulement un problème malien mais commun à toute cette région sahélo-saharienne. Le peuple touareg a été morcelé, comme d’autres peuples, d’autres ethnies en « nationalités », de manière arbitraire. Les mouvements indépendantistes sont le résultat de ce passé colonial.

L’avenir pour les travailleurs et les populations pauvres, ne se trouve pas dans la création de nouvelles frontières supplémentaires entre eux mais au contraire dans la suppression de toutes celles ont été créées dans le seul but de les diviser. Entre un travailleur touareg, songhaï, peulh ou bambara, il y a moins de différence, même s’ils ne parlent pas forcément la même langue, qu’entre eux et leurs patrons exploiteurs, fussent-ils de la même ethnie qu’eux. Les travailleurs les plus conscients savent que l’avenir est dans l’union de tous les travailleurs, par de-là les frontières, les ethnies ou la couleur de peau. C’est dans cette direction que doivent œuvrer tous ceux qui sont pour une société vraiment débarrassée de l’oppression et de l’exploitation de l’homme par l’homme.