Madagascar – Le président est en fuite, les militaires prennent le pouvoir
Depuis le 25 septembre les étudiants malgaches manifestaient courageusement chaque jour pour protester contre le délabrement de leurs conditions de vie. L’eau et l’électricité fournies par la société d’État Jirama sont devenues des denrées rares dans la cité universitaire d’Antananarivo ainsi que dans celles des principales villes du pays, comme dans les quartiers populaires. La seule réponse que le régime a donné à la jeunesse ce fut la répression féroce : au moins 22 personnes ont été tuées par les forces de répression ainsi que plus d’une centaine de blessés.
Eh bien la brutalité du régime de Rajoelina n’a pas réussi à mettre fin à la mobilisation de la jeunesse estudiantine car ce mouvement bénéficie du soutien incontestable de milliers de travailleurs et de petites gens dans les quartiers populaires. Les salariés de la Jirama en grève au mois de juillet dernier contre l’annonce de la transformation de cette entreprise d’État en société anonyme avaient en quelque sorte ouvert la voie à la lutte dans les secteurs étatiques. Ils sont à nouveau en grève ainsi que les salariés de plusieurs ministères (enseignement, douane, services fonciers) qui luttent depuis longtemps contre les mauvaises conditions de travail, contre le non renouvellement des postes de ceux qui partent à la retraite, contre les salaires qui stagnent malgré l’inflation galopante. Devant les podiums, qui à la faveur du mouvement ont été mis en place devant certaines mairies des quartiers populaires, de fortes délégations de salariés des secteurs étatiques ont tenu à être présentes.
On peut dire que c’est encouragé par tout ce climat de protestations justifiées, que le mouvement de la jeunesse né sur les réseaux sociaux sous le nom de Gen Z, s’est rapidement étendu dans le pays et a adopté des revendications politiques : fin de la corruption, démission du Premier ministre puis du président.
Le samedi 11 octobre un corps d’armée, le Capsat, s’est mutiné et a rejoint les manifestants. Rajoelina ainsi que son Premier ministre sont tombés, la vacance du pouvoir a été constatée et reconnue par la Haute Cour Constitutionnelle.
Devant le palais présidentiel, puis dans la caserne militaire du Capsat, le colonel Randrianirina s’est proclamé président de la Refondation de Madagascar.
Depuis plusieurs jours, ce galonné par l’intermédiaire de ses porte-paroles, jure ses grands dieux qu’il ne mettra pas en cause les engagements de son prédécesseur Rajoelina à l’égard des institutions internationales telles que le FMI, la Banque mondiale, etc.
Pour l’instant les militaires font les yeux doux aux organisateurs du mouvement et promettent de les associer aux décisions. Ils espèrent ainsi mettre fin au mouvement et avoir les mains libres pour accaparer le pouvoir pour eux seuls. Demain, s’il le faut, ils n’hésiteront pas à réprimer avec la même brutalité que leurs prédécesseurs.
Rappelons que c’est ce même Capsat qui avait permis à Andry Rajoelina aujourd’hui en fuite, de parvenir au pouvoir en 2009 après un coup d’État contre son prédécesseur Marc Ravalomanana, un civil qui, lui aussi s’était appuyé sur l’armée pour se hisser au pouvoir en 2002 face à l’ancien capitaine Didier Ratsiraka lui-même issu d’un coup d’État militaire. En fait, dans ce pays depuis 1971, chaque fois qu’il y a eu une forte mobilisation populaire contre les pouvoirs en place, c’est toujours l’armée qui a pris le pouvoir, parfois pour une longue période, parfois en aidant un civil de son choix à s’assoir sur le fauteuil présidentiel. Sur cet aspect des choses, Madagascar n’a rien d’une exception puisque qu’on observe à peu près le même schéma dans de nombreux pays africains, notamment en Afrique de l’Ouest ces dernières années quand les pouvoirs en places sont ébranlés par des contestations populaires qu’ils ne parviennent plus à juguler.
Ce qui est sûre c’est qu’à Madagascar comme ailleurs, les travailleurs et tous les laissés pour compte ainsi que la jeunesse estudiantine, n’ont vraiment rien à espérer de bon venant de ces prétendus « refondateurs ». Ils n’obtiendront que ce qu’ils sauront arracher par leurs luttes et leurs mobilisations.