Le cinéaste Mahamat Saleh Haroum à la mangeoire gouvernementale

20 mars 2017

Tchad

« Je l’ai acceptée (la proposition) parce que le président de la République me l’a demandé. (…) J’ai demandé des moyens et le président a promis de me les donner. Donc jusque-là, c’est un homme qui tient parole. Je le connais assez bien … »

C’est en ces termes que le cinéaste Mahamat Saleh Haroun devenu célèbre grâce à son film « Un homme qui crie », Prix du jury au festival de Cannes en 2010, est entré dans la mangeoire gouvernementale. Ce film raconte les guerres incessantes qui déchirent le Tchad depuis plus de cinquante ans ; il y dénonce les conflits sociaux sanglants avec ses conséquences désastreuses pour les populations.

Son dernier film, un documentaire intitulé « Hissen Habré, une tragédie tchadienne », a été projeté cette année à Cannes. Mahamat Saleh y relate les crimes de Habré en donnant la parole aux victimes, à « ceux qui ne l’ont pas, qui ne l’ont jamais » selon ses mots, pour dénoncer publiquement les sévices et les horreurs que les victimes ont subis en prison.

Mais à aucun moment Mahamat Saleh a égratigné l’actuel dictateur Idriss Deby qui pourtant était le bras droit et l’exécuteur des basses œuvres de son ancien maître Habré. On ne peut pas dire qu’il n’était pas au courant de la tristement célèbre DDS (Direction de la Documentation et de la Sécurité), la police politique de Habré et de ses agents qui arrêtaient les gens, les torturaient, les éliminaient, semant la mort, la peur et la désolation parmi les opposants et tous ceux qui critiquaient son régime dictatorial ; un régime de terreur mis en place dès décembre 1982, après sa prise du pouvoir. Habré était soutenu par l’impérialisme français dont l’armée est présente au Tchad depuis 1986 avec l’« Opération Épervier »

Mahamat Saleh ne peut ignorer le rôle criminel de Deby, lui qui, pour réaliser ce documentaire, a fouillé dans les archives et interrogé des victimes de la répression. Deby avait lui-même mis en place en 1992 une « Commission nationale d’enquête » qui a répertorié les crimes et chiffré à 40.000 le nombre de personnes tuées ou portées disparu. Des personnes s’attendaient donc à ce qu’il lance un mandat d’arrêt international ou une extradition de Habré vers le Tchad pour y être jugé. Mais non ! Et pour cause ! Deby lui-même était trempé dans les crimes et les tortures. Sa « Commission d’enquête » servait seulement à détourner l’attention des familles des victimes sur son maître Habré pour s’en laver les mains tachées de sang.

Tout cela, notre cinéaste le savait mais il comptait, il compte sur Deby qu’il « connaît assez bien » et son gouvernement pour promouvoir ses films. Il a sans doute bénéficié des fonds de l’État pour réaliser ses films. Sa collaboration avec le régime de Deby ne date pas d’aujourd’hui. Sa promotion comme ministre du Tourisme n’étonne donc personne.