Mali : Goïta tend le piège de l’union nationale
Un an après le départ des troupes militaires françaises de l’opération Barkhane (en août 2022) à la demande d’Assimi Goïta, chef de la junte au pouvoir à Bamako, ce sont les Casques bleus de l’ONU qui ont commencé à leur tour à plier bagages, toujours à la demande des autorités maliennes.
Les galonnés au pouvoir à Bamako sont bien placés pour savoir que l’armée française comme les soldats de l’ONU sous couvert de la Minusma (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali) n’étaient pas venus pour aider l’État malien à combattre les groupes armés islamistes ou les troupes des indépendantistes du MNLA qui défient l’État malien. Leur objectif était surtout de veiller à l’ordre impérialiste, principalement celui de l’impérialisme français, dans cette région du Sahel.
En mettant fin à la présence de l’armée française et des Casques bleus, Assimi Goïta avait promis que lui, avec l’aide des mercenaires de Wagner, allait reconquérir la souveraineté de l’État malien sur l’ensemble du territoire national. Mais force est de constater que plus d’un an après l’arrivée de ces mercenaires, les groupes armés islamistes continuent de sévir comme avant. Ils volent et tuent les villageois en toute impunité, ils continuent aussi de s’attaquer à l’armée malienne en posant des mines sur le passage des véhicules militaires ou en faisant des attaques surprises contre des casernes. Plus au nord du pays, dans la région de Kidal et vers la frontière algérienne, les groupes armés se revendiquant du mouvement indépendantiste de l’Azawad continuent de régner sur un vaste territoire.
Vers une nouvelle offensive de l’armée malienne ?
Alors que les bases de la Minusma abritant ses 15 000 militaires, policiers et civils, ont commencé à se vider, on assiste à une course poursuite entre l’armée malienne et les mouvements rebelles pour se les approprier. Si dans le sud du pays, l’État malien n’a pas trop de problèmes pour s’en emparer, il n’en va pas de même pour les bases situées dans le nord et dans l’est où les groupes armés rebelles sont bien implantés. L’armée malienne a déjà subi de nombreuses pertes lors de récents affrontements et a du mal à gagner du terrain. De nombreux civils y ont aussi perdu la vie.
Les groupes armés islamistes font un blocus notamment sur Gao et Tombouctou en empêchant la circulation des camions de transport de marchandises. La voie du fleuve est aussi bloquée. Le 7 septembre dernier, le ferry Le Tombouctou transportant des personnes et des marchandises, a été attaqué par des bandes armées, faisant plusieurs dizaines de victimes civiles.
Les conséquences de ce blocus sont catastrophiques pour les habitants, à commencer par ceux qui n’ont pas les moyens d’acheter des denrées dont les prix se sont envolés. Les villageois situés aux alentours de ces deux grandes villes se trouvent de plus en plus isolés et ont du mal à écouler leurs maigres productions. Ils vivent sous la terreur des groupes armés et sont livrés à eux-mêmes.
Depuis le début de ce mois d’octobre, un convoi constitué d’une centaine de véhicules transportant des soldats maliens et des mercenaires de Wagner se dirige vers les villes du nord pour prendre possession des bases abandonnées par la Minusma. C’est une occasion pour le dictateur galonné Assimi Goïta de claironner son patriotisme autour du thème « le Mali est un et indivisible » afin de rassembler les associations, les partis politiques et les syndicats autour de lui.
Le piège du nationalisme, une arme contre les exploités.
La propagande nationaliste bat son plein dans les médias d’État. À la radio et à la télé, on n’entend que des discours patriotiques et des éloges aux « vaillants soldats maliens ». Des collectifs et des comités de soutien à l’armée naissent un peu partout et sillonnent les quartiers de Bamako et des grandes villes pour appeler les gens à se mobiliser derrière l’armée.
Dans les discours des tenants du pouvoir, il n’est plus question du retour à un gouvernement civil « dans les plus brefs délais » comme ils le disaient auparavant. Goïta a plutôt annoncé le report des élections présidentielles, initialement prévues en février 2024. En même temps, les mesures de répression contre les opposants politiques ont été renforcées. « Il faut tout sacrifier pendant un moment pour inverser la tendance » a déclaré récemment le Premier ministre Choguel Maïga lors de son déplacement à Tombouctou.
Les partisans de l’imam réactionnaire Dicko qui avaient prévu de manifester le 13 octobre dans les rue de Bamako pour demander la formation d’un « gouvernement de transition civile » qui leur donnerait une place un peu plus grande dans la mangeoire gouvernementale à côté des militaires, ont tout simplement annulé leur appel.
Quant aux principaux syndicats, notamment l’UNTM (Union Nationale de Travailleurs du Mali), ils brillent surtout par leur inaction alors que les travailleurs du secteur public comme ceux du privé, souffrent des bas salaires et de la flambée des prix amplifiée par la crise économique et politique. Tous ceux qui osent critiquer la corruption et la gabegie du régime des militaires sont poursuivis pour trouble à l’ordre public par la justice aux ordres du pouvoir.
Avec ses envolées patriotiques, Assimi Goïta veut se présenter comme le « sauveur de la patrie en danger » mais il n’est rien d’autre qu’un dictateur qui défend sa place au soleil. Jusqu’ici il n’a pas encore désigné l’ensemble du peuple Touareg ou d’autres ethnies du Nord ou de l’Est comme des ennemis à éliminer. Mais il ne faut pas pour autant oublier que des dirigeants de son genre sont capables d’opposer les populations les unes aux autres pour s’agripper au pouvoir ou pour y parvenir.
Du Rwanda à la Côte d’Ivoire en passant par le Soudan, la RDC, le Sénégal et la Mauritanie, l’histoire récente de l’Afrique ne manque pas d’exemples de barbarie sanglante à caractère ethnique. Parfois c’est à l’occasion d’une élection, d’un litige frontalier hérité de la colonisation ou d’un simple conflit entre agriculteurs et pasteurs, mais ce sont toujours les plus pauvres qui en paient le prix le plus fort. Même là où les populations se côtoient paisiblement, les dirigeants en compétition pour le pouvoir sont capables de semer le poison de la division pour assouvir leurs ambitions.
La crise que traverse le Mali depuis quelques années pourrait dégénérer en bain de sang entre les populations, même si on n’en est pas encore là aujourd’hui. Les travailleurs maliens ne doivent pas se laisser berner par la démagogie de Goïta tout comme ils doivent se méfier des politiciens de tous poils qui prétendent avoir des « solutions » pour améliorer leurs conditions d’existence. La seule force sur laquelle ils peuvent s’appuyer c’est la leur, sans distinction de nationalité, d’ethnie ou de religion, pour se défendre comme une seule classe sociale contre la dictature et contre l’exploitation.